Golfes d'Ombre

Les mots que je n’ose pas dire


Tumulte silencieux les barbelés de marbre
Ont lacéré l’ivresse éperdue de la tendre jeunesse
Je n’étais qu’un désert aux longues dunes blanches
Sous le soleil glacial au ciel d’un autre temps
Inutile

De l’alphabet d’Amour pas un mot pas un son
Que pouvais-je inventer allongée sur ma terre
Telle une vieille souche aux ombres lunaires
Et pourquoi murmurer si l’on ne sait pour qui
Mains nues

A ces aventuriers caressant le bois mort
Pour l’album souvenir des maîtresses d’antan
J’ai dit ce qu’ils voulaient j’ai fait ce qu’ils ont pris
Ils ont enseveli sous le ciel du couchant
Les mots

Mots…

Vous que ma bouche tait dans la désespérance

Vous dont je sais le fardeau amoureux
Capable en ruisselant de verdir un désert
Vous que plus rien n’arrête aujourd’hui de jaillir
Mots Mystère libérateurs des gestes primitifs

Mots flambeaux ravageurs de sagesse et d’oubli
Vous enserrez dans votre déraison
La houle indomptable et rebelle
D’une captive consentante

Mots pluie d’abondance sur le lac épuisant du silence
En effeuillant des poignets aux chevilles
Vous dévalez gravement dans mes veines
Les sillons d’un long fleuve sans nom

Faut-il vous dire ou bien vous taire

Mots sauvages à l’indicible étreinte
Vous qui avez mille ans une heure seulement
Mots rares exquis délicieux
Je ne peux vous graver autrement
Que corps sur corps peau contre peau
Dans l’abandon qui ne délaisse pas mais retient
Entre deux âmes l’essentiel
Mots de la Création impudiques et brûlants
Vous qui faites l’Amour à celui que j’attends
Vous êtes de ceux qu’on ne dit qu’une fois

Esquif entre mes doigts protégé
Dis que feras-tu de ces mots inédits

Je les retiens encore à peine un peu
Ces mots qui te sont destinés
Toi que j’aime entre mes doigts bercé

J’ai si peur de ne pas entendre les mêmes en retour…
Qu’ils sont les mots que je n’ose pas dire…

— Patricia Romanet