Golfes d'Ombre

Les vagues

C’était un soir d’été. Le Couchant dans sa gloire,
De l’immense Océan, au pied du Promontoire,
Rasait la verte écaille, et de jeux infinis
Dorait le dos du monstre et ses flancs aplatis.
Tout dormait, tout nageait dans la vaste lumière.
Sur un pli seulement de la plage dernière,
Au point juste où du soir le rayon se rompait,
Où du cap avancé l'ombre se découpait,
Dans toute une longueur du reste détachée,
Comme si quelque banc faisait barre cachée,
Les vagues arrivant, se pressant tour à tour,
Montaient, brillaient chacune en un reflet de jour,
Puis de là s'abaissant, entrant au golfe sombre,
Allaient finir plus loin, confuses et sans nombre.
Je contemplais ce pli si brillamment tracé,
Ces vagues, leur écume et leur jet nuancé.
Quelques-unes, de loin déjà haussant leur crête,
S'efforçaient, sans pouvoir, à briller jusqu'au faîte ;
D'autres, plus à l'écart, même n'y visaient pas
Et, sans tant se gonfler, sans tant presser le pas,
Suivaient le train voulu, passaient, comme le sage,
De leur rayon modeste à la nuit du rivage.
Il en était qui, près du terme de leur vœu,
Déjà riches à voir et pleines d'un beau feu,
Prenant, chemin faisant, plusieurs flots dans leur lame,
Montant comme à l'assaut à la ligne de flamme,
Tout d'un coup, sans écueil et sans qu'on sût pourquoi,
Par ce secret destin que chacun porte en soi,
Se brisaient, défaillaient, croulaient à l'anse obscure
Avec plus de risée, avec plus de murmure.
L'instant manqué d'abord ne reviendra jamais.

Mais toutes, aux mouvants, aux fragiles sommets,
A la marche plus humble ou plus haut élancée,
Au plus ou moins d'éclat ou d'écume insensée,
Toutes, après leur bruit et leur feu d'un moment
Au tournant du grand cap mouraient également.

(Extrait d'Élégie dans les Poésies Diverses.)

— Charles Sainte-Beuve